LA VOIX DE LA TERRE

 
Page 195 du roman : La voix de la Terre de Bernard Werber
Contexte : il y a eu d'immenses manifestations contre les gouvernements. Ceux-ci réagissent en déclarant des guerres partout pour se maintenir au pouvoir. C'est alors que Bernard Werber fait dire à ses personnages Jaffar, président de l'Iran, et Tchang, patron de la Chine :

─ Vous avez vu comme les manifestations se sont d'un coup effondrées, chez vous comme chez nous.
─ Ils n'osent plus rien revendiquer, ils ont trop peur de passer pour des traîtres à la nation.
─ et ce sont précisément ceux que nous allons recruter de force et envoyer en première ligne. Le mouvement évolutionnaire est mort dans l’œuf.
─ la peur est le moteur le plus puissant pour agir sur les foules, reconnaît l'iranien.
Les deux hommes sont détendus.
─ Je crois que nous avons déjà gagné, Jaffar. Nos compatriotes ne nous ont jamais autant aimés.
─ La guerre, c'est encore plus fédérateur que le football, et ça peut durer plus longtemps qu'un championnat.
─ C'est, comment dire, une sorte de « grande baston de supporters encouragés par leurs gouvernements ».
─ Excellente formule. J'ai pour ma part au nom de l'effort de guerre doublé les impôts.
─ Moi aussi, j'ai doublé les impôts et il n'y a évidemment aucune remarque de l'opposition, à savoir la branche « armée rouge » qui s'oppose parfois à celle du « parti communiste ».
Les deux hommes font des signes complices sur leurs visiophones respectifs.
─ En fait, dit l'Iranien, je ne les comprends pas. Les gens du peuple aiment quand on les envoie se faire tuer, et ils nous détestent quand on leur offre la liberté. Regardez Gorbatchev, regardez Louis XVI. Tous ces hommes ont été des libérateurs du peuple, et tout le monde les déteste. Par contre Hitler, Staline, Mao, Nasser ou Khomeyni, qui ont amené leur propre peuple à l'abattoir, sont encore de nos jours vénérés par une large frange de la population.
─ C'est la fascination pour les gros prédateurs. Le peuple admire les lions, pas les buffles. C'est pourquoi nous ne devons pas avoir d'états d'âmes, et devons devenir vous et moi, Jaffar, des prédateurs fiers et assumés. Rien n'est pire que les dictateurs honteux.
─ mais vous ne croyez pas qu'un jour ils vont nous comprendre et nous juger ?
─ La plupart des grands dictateurs sont morts tranquillement dans leur lit luxueux, entourés de leur famille aimante, de médecins et d'infirmières attentionnées, et de commensaux zélés. Telle est la loi. Les libérateurs, eux, sont crucifiés, guillotinés, pendus. Même Karl Marx, notre premier héros et guide, est mort malade, seul et dans la misère, avec une dizaine de personnes à peine à son enterrement.
─ Comment expliquer cette ingratitude et cette amnésie du peuple ?
─ Sans la violence, les gens n'ont pas d'émotion, et sans émotion ils ne mémorisent pas.
─ Quand même, ils embrassent la main qui les frappe et mordent celle qui les nourrit.
─ Les gens veulent une jolie propagande à laquelle ils peuvent adhérer.
─ Mais ils pourraient s'apercevoir que la propagande est contraire à la vérité.
─ Un mensonge répété suffisamment longtemps devient la vérité.
Le président irakien note cette phrase admirable qui résume beaucoup de choses. Il s'aperçoit qu'il a encore beaucoup d'enseignements à recevoir de son collègue chinois. Dans un élan d'enthousiasme il annonce :
─ OK. Dix mille soldats. Je vais envoyer cent mille hommes supplémentaires. Ca devrait augmenter la pression.
(c'est ainsi que la troisième guerre mondiale est déclenchée).