ECRIRE N'EST PAS PARLER
Je me rends compte que la puissante énergie qui me donne la force d’écrire, est un handicap à l’oral. Je n’arrive pas à la maîtriser en parlant. C'est comme si mes discours portaient un enjeu dont la pression les rendaient flous, confus. Ainsi, quand je me sens pressé par le risque d’échec à livrer une idée, ma parole vire au stressé, parfois à l’arrogant ; ce qui ne va pas avec ce que j’ai en tête, et in fine, m’empêche de dire ce que j’ai à dire. Je deviens inapte à parler clair, à confier des données utiles et à forte valeur ajoutée.
Et du coup, en ces temps de campagne électorale, je me demande si les orateurs ont cette énergie en eux ?
Pas sûr, et même peu probable. Je les vois lire des discours écrits par d’autres, ou basés sur de vieilles idées. Du coup, ils ne sont pas impliqués dans ce qu’ils disent ; même pas sûr qu’ils se sentent responsables. Sinon, comment feraient-ils pour mentir sur tout, tout le temps ? Comment feraient-ils pour maîtriser le punch de plans si précieux et si vitaux, sans se presser ? Ce n’est pas si facile de défendre en public, ce qu’on a construit durant des années, pas à pas, avec grande attention et générosité. Et puis il y a tant à dire, quand le temps de la campagne électorale est si court ! L’écrit permet une bien meilleure information. Il n’y a pas photo.
C’est à cause de l’oubli de la valeur du discours vrai, puisqu'il n’est pas construit par leurs propres soins, qu’ils peuvent user de roublardise. C’est ainsi qu’ils servent des buts extérieurs à eux-mêmes, buts dont je soupçonne qu’ils ne voient pas les vrais buts. Naturellement, ils sont très bien payés pour compenser leur culpabilité de corrompus ; et ce d’autant mieux que ce ne sont pas les corrupteurs qui paient, mais les peuples abusés. Sauf que cela les conduit à ne pas fournir de la valeur ajoutée pour grandir ensemble, puisque ce n’est pas eux qui décident de ce qu’il y a à dire. Ceux qui parlent ne contrôlent rien. Ils pérorent seulement, soumis à leurs maîtres, qui eux, savent ce qu’il y a à savoir sur le sujet utilisé pour peser sur les esprits qu’ils veulent troubler ; et vivre leurs vies de feignants, voire de haineux, sur le dos de ceux qui les écoutent. Jean De Lafontaine n’a-t-il pas écrit : « apprenez que tout orateur vit aux dépens de ceux qui l’écoutent » ?
Je préfère l’écrit de l’autodidacte, qui prend le temps de la réflexion et de l’accès à ses mémoires, à l’Internet, aux échanges de toutes sortes, à son propre imaginaire, aux dictionnaires et encyclopédies, ainsi qu’à l’art de comparer avec des sources variées de vérités et de croyances ; et qui, quand il a éliminé tout ce qui ne fait pas sens, met ses trouvailles en ordre avant de les transmettre ; puis en surveille la valeur au fil des ans, réécrit et complète au besoin le sujet qu’il a mis en avant. Il est évident que ce n’est pas le cas avec le discours dicté, conçu pour qu’on ne retienne que ce qui engendre la plus forte émotion. Bien sûr, ceux qui veulent vous tromper usent aussi de l’écrit, mais ils sont obligés à plus de prudence.
Parce que écrire pour l’intérêt général, c’est être à fond dedans, éprouver ce qu’on livre au public, le vivre par tous ses pores et tous ses sens pour en chasser les erreurs. La vue, l’ouïe, le goût, le toucher, l’odorat et surtout l’intuition, même la plus ténue, doivent participer à chercher l’info de grande valeur. Ensuite il faut mettre le tout en ordre avec des mots précis, écrire l’expression la plus sûre et la plus facile à comprendre, accompagnée de la citation qui représente le mieux la chose à expliquer, moduler le rythme et l’intonation qui font vivre ce qu’on veut faire passer ; et d’ailleurs, on en a le temps ! L’énergie de l’écrivain est répartie sur des heures, des jours, des mois et même des années pour certaines recherches, tel « la compétition des croyances » que je travaille depuis 2010.
Ainsi étalée, cette vitalité est supportable, ce qui n’est pas le cas à l’oral ; car là, le temps est tassé, réduit. Il n’y en a pas assez pour réfléchir et tester puis transmettre. Cela veut dire pas bien étudié et pas bien dit, et la quasi certitude de manquer d’à propos, de ne pas être clair et compris. On peut relire et vérifier un écrit. Préécouter son allocution est moins courant, la contrôler est impossible. Quand c'est dit, c'est dit et c'est vite obsolète. En plus, la réthorique sert à parler pour ne rien dire. On apprend rarement d'un discours politique.